Le triangle, l’églantine et le muguet… une autre histoire du 1er Mai.

Publié par Niko_DdL le

Ah… le premier Mai, la fête du travail durant laquelle on glande devant son barbeuq’ en offrant du muguet à Mamie, pendant que les syndicalistes se chamaillent((Oui, la déclaration du jour du Macronavirus17, m’a UN PEU mis de travers, oui…)) à coups de merguez trempées dans le mojito.

[Jeu : toi aussi amuses tes amis en faisant une intro qui réunit le plus grand nombre de clichés caricaturaux]

NON !
Si vous voulez bien, parlons plutôt de journée internationale de lutte des travailleuses et travailleurs, à l’occasion de laquelle tout le mouvement social montre son volume, sa présence, ses revendications et parfois son unité (si, si… parfois… enfin quand on est pas confinés, s’entend…).

Mais je ne vais pas vous parler de l’histoire de cette journée. Je ne n’ai pas la prétention de rivaliser avec Mathilde Larrère, qui dresse déjà cet historique avec brio.

Moi je vais vous causer boutonnière et botanique en essayant de démêler cet imbroglio qui mêle « Fête du Travail« , muguet et Philippe Pétain ; entre autres fleurs et personnages historiques.

*BRUITS DE MUSIQUE ÉPIQUE*

Tout commence avec un triangle rouge…

(Désolé… à chaque fois qu’il est question de triangle de couleur, je pense à cette parodie… A.CHA.QUE.FOIS !!)

Donc, si vous avez suivi le thread de Tata Mathilde, vous savez que c’est la seconde Association Internationale des Travailleurs (AIT) qui a décidé en 1889 de faire du premier Mai une journée de mobilisation internationale pour les travailleurs. Or, en cette année, LA revendication du moment c’est la journée de travail de 8h (spoiler : ça va prendre un peu de temps… genre encore 30 ans ; une paille).

Entre autre déclinaisons, l’allégorie des Trois Grâces comme dans la fameuse affiche de Jules Granjouan

La revendication utilise notamment l’argument « 8 heures de travail – 8 heures de loisir – 8 heures de sommeil ».
On peut reprocher à cette articulation d’invisibiliser la réalité sociale du « temps de loisir » qui est plus souvent du temps de travail non-rémunéré ((Si vous voulez creuser, allez voir chez Bernard Friot et le Réseau Salariat, il illustre ça très bien à coups de tondeuse à gazon…)), mais l’utilisation de ce triptyque rend l’argument bigrement efficace et permet de le décliner facilement.

Or donc, à l’occasion du Premier Mai 1890, pour distinguer les militants du reste de la population, il est demandé aux personnes soutenant la revendication des 8 heures d’arborer un élément rouge à la boutonnière. Et afin d’appuyer l’initiative à Paris, on fait produire des milliers de petits triangles rouges en cuir sur lesquels sont parfois marqués « 1er Mai – 8 Heures de travail » et qui seront vendus quelques centimes par les partis de gauche. ((Je n’ai pas d’illustration à mon grand désespoir, mais j’aimerai vraiment trouver un de ces petits machins, un jour….))

La couleur rouge est évidemment choisie en tant que couleur ouvrière et populaire par excellence.
Elle reprend celle du drapeau ou du chiffon arborés dans de nombreux mouvements populaires. Mais comme ça pourrait être l’objet d’un article à part entière, je vais me contenter de cette vidéo de digression (qui n’a AB-SO-LU-MENT rien de sérieux, soyons clairs pour celleux qui ne connaissent pas la séquence…).

Le symbole du triangle rouge associé au triptyque des 8 heures est tellement porteur qu’il est décliné sous la forme inattendue…. d’un savon nommé « Le 3-8 », dont l’illustration reprend le fameux triangle rouge agrémenté sur chaque côté des trois périodes de la journées.

Illustration couleur, détails, et galeries de portraits en photogravure offerts avec le savon.

Pour l’anecdote, dans l’enveloppe du savon on trouvait également le portrait d’un militant ou député socialiste, parmi lesquels Jaurès ou Guesde. Et en prime, la « Savonnerie des travailleurs » reversait tous les bénéfices des ventes à la propagande socialiste.
La pointe de la consommation politisée, comme on en fait plus…


L’églantine écarlate

Le symbole du triangle rouge avait donc tout pour se pérenniser… mais le premier Mai 1891 modifiât sensiblement cette destinée par l’avènement d’un drame.

Dans la ville de Fourmies, proche de Maubeuge, la grève du premier Mai 1891 est bien suivie parmi les ouvriers et ouvrières du textiles, dont les conditions de travail sont particulièrement insalubres.

Les tensions entre les manifestants et la maréchaussée sont rapidement perceptibles, si bien que dès 9h du matin 4 personnes sont arrêtées.

Mais ces arrestations, loin de calmer les esprit, ne font que détourner les slogans en demandes de libérations.
L’ambiance s’échauffe donc tout au long de la journée, et à 18h des pierres commencent à voler vers les forces de l’ordre.

Armés de leurs tous nouveaux fusils Lebel, les hommes de la troupe tirent, blessant une trentaine de personnes et tuant 9 manifestant⋅e⋅s. ((http://fourmies.canalblog.com/archives/2012/04/26/24106527.html))

À l’image de nombre de jeunes femmes en ce premier jour de Mai, Marie Blondeau porte dans les bras un bouquet de fleurs, symbole du retour des beaux jours. Elle trouve la mort dans cette tragédie, son bouquet d’aubépines à la main. L’image se diffuse, et la fleur sauvage poussant facilement dans les haies devient spontanément un symbole de cette martyr de Fourmies.

C’est une édition de 1909, mais ça fera l’a blague… (Oui ! Je fais ce que je veux !)

Mais chacun y allant de sa fleur sauvage pour rendre hommage au massacre de Fourmies ou montrer sa solidarité envers la cause ouvrière (passant par le coquelicot, le myosotis, les œillets…), c’est le socialiste Paul Brousse qui organisera un concours dans le journal La Petite République Française en 1905, pour désigner ce qui sera « la fleur de Mai ». Et c’est la fleur d’églantine rouge qui remportât ce concours.

D’aucun soutiennent que le choix de cette fleur aurait été motivé par la volonté de rendre hommage au poète Fabre d’Églantine. Et pour cause, si ce député jacobin est à l’origine des paroles de la comptine « Il pleut, il pleut bergère » ainsi que des noms de mois du calendrier républicain, on lui doit plus particulièrement l’initiative d’avoir créé dans ce calendrier la toute première Fête du Travail.

Du coup, Maximilien est content…

Toujours est-il, le symbole de la fleur d’églantine fut très populaire parmi la classe ouvrière et la gauche du début du XXème siècle. A tel point que l’armé française dût elle même lutter contre ce symbole trop rouge, trop ouvrier, durant la première guerre mondiale, et que le terme « églantinards » ait été affublé aux socialistes et communistes du début du XXème siècle par certains de leurs détracteurs et opposants. ((Notamment par Barrès dont on trouve l’utilisation du terme dans ses Cahiers datés de 1917-18))

Bref, faites plaisir à Pipou : Choisissez l’églantine.
Meme fait maison – Toutes mes confuses envers Philippe pour l’utilisation de sa bobine.

Le muguet : un symbole Pétainiste ?

Disons le tout net : si Pétain a effectivement imposé le muguet sur l’églantine, il n’en est pas à l’origine (je vous vois… et force est de reconnaître que moi aussi, j’ai fait cette réduction).

L’origine de la tradition d’offrir du muguet au moment de sa floraison (soit fin Avril, début Mai) est totalement floue.
Il est certain que la fleur à clochettes figure dans la mythologie grecque ; puisqu’elle aurait été créée par Apollon. Mais la suite est plus nébuleuse, donc je vais me contenter de spéculer sur la base de ce que j’ai trouvé, en précisant que je n’ai pas réussi à avoir de sources historiques aussi sérieuses que pour le reste de ce billet (donc on manipule les gants au conditionnel avec la prudence des pincettes).

La tradition pourrait dater de la Rome antique, voir des Celtes, et le folkloriste Charles Leland a d’ailleurs associé la plante à une déesse mère nordique révérée à l’équinoxe de printemps. Mais ce serait Charles IX qui aurait popularisé cette coutume de l’offrande.

Portrait du jeune Charles IX
par François Clouet

L’anecdote trouverait son origine à l’occasion d’une visite de la cours dans le Dauphiné, lors de laquelle le chevalier de Maisonforte aurait offert au jeune héritier du trône (il a 10 ans, et n’est pas encore couronné) et à sa mère Catherine de Médicis un brin de muguet.
Le jeune homme aurait trouvé l’initiative tout à fait charmante et aurait déclaré « Qu’il en soit ainsi chaque année ».
Ainsi, dès le premier Mai 1561, Charles IX (qui a été sacré entre temps) aurait offert des brins de muguet à tout son entourage en guise de porte-bonheur.

Portrait de Philippe François Nazaire Fabre d’Eglantine – 1793
par Pierre Augustin Thomire

Cette tradition aurait perduré à travers les siècle, en passant notamment par le calendrier républicain dans lequel Fabre d’Églantine l’associera au « Jour Républicain », le 26 Avril. On peut supposer qu’il aura voulu contourner une tradition venue de l’Ancien Régime…

Puis, le muguet disparaît dans les affres des contre-révolutions, avant de réapparaître vers la fin du XIXème siècle, via quelques célébrités ((Le chanteur Felix Mayol, qui en fit son emblème, repris plus tard par Christian Dior qui en offrait à ses couturières)). Ensuite, les clochettes blanches se repopularisent au début du XXème siècle au point que l’on trouve dans les cortèges des années 1930, des bouquets et boutonnières mêlant fleurs de muguet et églantines ou fleurs de muguet enroulées d’un ruban rouge.

Mais c’est bien en 1941 que Pétain associera définitivement le muguet au premier Mai, damant ainsi le pion à une fleur d’églantine trop ancrée à gauche, tout en imposant la Fête du Travail comme un jour nationalement férié et chômé ; au dépends de la « fête des travailleurs ».

Tout ça pour offrir des fleurs qui sont même pas comestibles, franchement… ((Blague à part, les fleurs d’églantine, de coquelicot, d’aubépine, de myosotis, et certains œillets sont tout à fait comestibles, elles ! #SocialTopChef Alors que le muguet c’est tout à fait toxique.))

[Content Warning / Avertissement de contenu]
J’aime autant prévenir à l’avance, sans être définitivement sinistre, la dernière partie ci-dessous est un plus sombre que le reste et totalement dénuée d’humour. Pour cause, il y est question de déportation, d’extrême droite, de racisme et de violences policières.
Donc, si vous préférez terminer cet article sur la note potache juste au dessus, ce qui peut se comprendre, je vous conseille de reprendre une activité normale là, tout de suite. La bise autogérée si consentie.

Stigmate et retournement

Mais si le triangle rouge a rapidement disparu des symboles ouvriers, il réapparut toutefois de manière plus tragique durant cette même période.

En effet, comment évoquer ce symbole sans mentionner le triangle rouge servant à identifier les opposants politiques du troisième Reich déportés dans les camps ?

Il semble assez évident que cette nouvelle utilisation du symbole n’ait aucun lien avec le triangle des ouvriers de 1890. Notamment parce que les deux triangles pointent dans des directions opposées. Pourtant, c’est bien par cette occurrence macabre que le symbole passera à la postérité.

Un symbole qui sera repris par une partie de la gauche en retournant le stigmate (et non pas la pointe), notamment en Belgique, où Le Triangle Rouge est à la fois le nom et le symbole de la principale association de lutte contre les idées d’extrême droite ((Association dont on retrouve le pin’s à la boutonnière d’un homme politique français…)).

En France, le collectif Ras l’Front, portant la même lutte, a également repris cet emblème. Ainsi que les collectifs du réseau de Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes (VISA), toujours actifs contrairement à Ras l’Front.

Une lutte malheureusement toujours d’actualité, face à une extrême-droite qui a elle même détourné le symbole du premier Mai, pour en faire un moment de rassemblement nationaliste. Rassemblement à l’occasion duquel les violences racistes se perpétuent, à l’image de l’assassinat de Brahim Bouarram qui fut poussé dans la Seine en marge du rassemblement parisien du 1er Mai 1995.

Un assassinat qui résonne encore tragiquement 25 ans après, alors que ce sont aujourd’hui les forces de Police qui sont mises en cause pour des faits de violences et des propos racistes après avoir repêché une personne((https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/violences-policieres/seine-saint-denis-des-policiers-filmes-tenant-des-propos-racistes-l-igpn-saisie_3936841.html)) quelques kilomètres en aval du lieu où s’est noyé Brahim…


Mais si l’histoire résonne parfois étrangement, c’est bien qu’il est nécessaire de perpétuer les mémoires, les symboles et les luttes.

Ni oubli. Ni pardon.
#TeamEglantine

Niko_DdL
1er Mai 2020


Dans l’atelier :
Pour faire une petite précision méthodologique, on me reprochera potentiellement le manque de sources de cet article.
Force est de reconnaître que si je lui ai donné des aspect d’enquête historique, je n’ai pas eu accès aux sources que j’ai pu voir mentionnées ça et là au fil de mes recherches. J’ai donc pris le parti de ne pas mentionner celles-ci, d’une part pour ne pas les trahir, mais surtout pour éviter donner à l’ensemble une consistance qui tiendrait totalement de l’imposture.
C’est donc plutôt un article à visée journalistique et je m’excuses pour ces manques méthodologiques auprès des personnes qui les attendraient. Cependant, je me tiens tout à fait prêt à être un peu plus ouvert sur ces sources, par tout moyen, avec toute la prudence que nécessite l’humilité d’un amateur, si éclairé soit-il.
Sur ce, mon syndrome de l’imposteur vous salue bien bas.


Laisser un commentaire

Emplacement de l’avatar

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

fr_FRFrench