Lettre ouverte au Front Social : Alice au pays du Néo-Libéralisme

Publié par Niko_DdL le

Je suis signataire, au nom du Social Club, du Front Social depuis sa fondation, il y a un peu plus d’un an. Ca fait 1 an que nous nous réunissons… 1 an que l’on invoque la convergence des luttes dans les AG, et aujourd’hui l’on ne peut que se réjouir de voir qu’elle commence à arriver.

J’étais personnellement au meeting du Front Social hier matin (7 Avril 2018 à la Bourse du Travail du troisième arrondissement de Paris). Je n’ai malheureusement pas pu rester l’après-midi lors duquel devaient se tenir les commissions, desquelles devaient sortir une déclaration collégiale.
Cependant j’en suis reparti avec une impression de déjà-vu assez frustrante.

Alors j’ai bien conscience de publier ce billet avant la communication du Front Social, cependant il m’apparait plus que nécessaire de demander a ses membres de regarder au delà de l’appareil lui-même, au delà des militants déjà impliqués.
Ne faisons pas l’erreur de Occupy Wall Street (1) ou de Nuit Debout qui ont oublié leurs buts à force de ne regarder que leurs modes d’action.

Je précise toutefois. Oui, ils sont évidemment nécessaires ces militants impliqués. Oui, il est évidemment nécessaire de créer des liens entre nous tous. Oui, le besoin de convergence est de plus en plus palpable, et nous n’en n’avons jamais été si proche. Mais si elle se fait, rappelons nous qu’elle n’est qu’une étape et un moyen.
La fin, elle, est encore loin et il ne faut pas la perdre de vue.

La convergence arrive, mais rien n’est acquis.

Car maintenant qu’elle est proche, s’il est primordial d’agréger et maintenir cette convergence unie malgré les divergences d’appareils et d’égos, le sujet est surtout de projeter cette force dans une perspective à moyen/long terme. La projeter d’une part en la portant à l’extérieur des corps militants, déjà acquis à la lutte. Mais la projeter également en lui donnant un but qui aille plus loin que la simple protestation défensive dans laquelle les luttes sociales se sont inscrites ces 50 dernières années.
Rester entre nous et défensifs ne nous garantit que d’une chose : la prochaine attaque du MEDEF ou de l’état libéral.
Le moment présent est peut-être historique. Prenons les de cours !
Car si nous ne le faisons pas, quelque soit l’issue de cette période, il n’auront pas d’autre volonté que de faire en sorte que ce soit notre dernière occasion.

Alors oui, la grève générale est souhaitable, et il est bon de l’invoquer. Mais arrêtons de nous contenter de nous regarder entre militants actifs – nous ne prêchons que des convaincus – et sachons regarder en dehors hors de nos AG.
Pour faire la grève générale il va falloir mobiliser les salariés de tous les secteurs, leur donner envie de nous rejoindre dans le combat. Et je pense que pour ce faire, si les slogans ne suffisent pas, c’est qu’il faut leur proposer d’autres possibles, une autre société, même temporaire, expérimentale, ou locale ; ce qui serait déjà un début, et sur lequel on pourrait (« devrait », même) communiquer.

« Mais alors, dit Alice, si ce monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ?  »

Certains le font déjà, et je salue les camarades de La Commune Libre de Tolbiac de ce qu’ils font actuellement. Ils l’ont dit dans leur auto-conférence de presse : ils bloquent la production de savoir institutionnelle pour créer leur propre production de savoir critique, ouverte à qui veut ! Merci à eux, car c’est exactement le principe : bloquer les productions institutionnelles pour créer notre propre production.

Posons nous les bonnes questions :
Qui empêche les transports publics d’être assurés gratuitement ?
Qui empêche les personnels de santé d’administrer des soins correctement ?
Qui empêche les chômeurs d’avoir un emploi, et les salariés d’avoir plus de temps libre ?
Qui empêche les agriculteurs de la Confédération Paysanne de produire sainement et de distribuer leurs produits à des prix viables ?

Ca, l’état.
Ici, le Medef.
Là, les banques.

Nous ne voulons plus cheminer avec ces fous… Et eux seuls prétendent que tout le monde est aussi fou qu’eux, en faisant courir la planète à sa perte.
Nous ne voulons plus de leur société, car plus personne n’est dupe du fait que le libéralisme ne peut plus rien apporter de bon, de viable, à l’intérêt général. Mais n’oublions pas la fondamentale : que ce soit l’état, le MEDEF ou les banques, ce sont eux qui ont besoin de nous ; pas l’inverse.
C’est nous qui avons les mains sur leurs moyens de profits et, chose formidable, la plus grande partie de ces moyens sont également nos moyens de subsistance. Alors faisons société sans ceux qui nous rendent dépendants de nos propres moyens, en accroissant encore et toujours notre aliénation pour leurs seuls profits !
De corps en lutte, séparés d’une société moribonde, créons une société de lutte résiliente et émancipatrice. Dessinons les contours de la société que nous voulons.

Organisons nos structures, même à de petites échèles pour commencer, même de manière expérimentale. C’est notamment à ça que servaient les Bourses du Travail dans laquelle se tenait hier encore cette AG du Front Social. Elles ont précisément été crées pour être des lieux de solidarité entre travailleurs. Des lieux de mutualisation de savoirs, mais aussi de mutualisations de moyens, afin de pouvoir prendre possession des outils de production. Et si on trouve ces Bourses du Travail si nombreuses, c’est bien que le motif de leur fondateur, Fernand Pelloutier, était de se donner ces moyens de manière locale, rue par rue, quartier par quartier, pour se libérer pied à pied de la mainmise des propriétaires bourgeois. Dans le contexte actuel, où la contestation sociale se cristallise autour des cheminots, l’on peut tout à fait imaginer la même chose dans les gares si les bourses du travail ne suffisaient pas.

On pourrait y-imaginer de :

  • Dispenser de soins gratuits,

  • D’organiser des ventes de produits agricoles à prix coutant,

  • Tisser le vivier militant et associatif local, pour organiser des actions communes,

  • Organiser les comités de luttes, de quartier, au sein desquels chacun pourrait apporter son aide et trouver réponse à ses besoins.

Et au delà, ne nous contentons pas des manifestations ou d’une contre-société, attaquons les porte-feuille tout en répondant à l’intérêt général. Organisons :

  • Les gratuités de transports en commun

  • Les gratuités de péage d’autoroute lors des weekends ou des vacances,

  • Les débrayages en heures creuses des compteurs électriques en pleine journée,

  • Les gratuités dans les supermarchés pour les plus démunis : offrons leur le Nutella, le champagne… Tout le foutu magasin !

  • Organisons les émeutes dans les supermarchés !

Ne soyons pas figés dans une posture défensive, mais proposons et créons, en un mot donnons nous les moyens de résister à leur monde, en détruisant ces moyens d’aliénations pourvu que l’on puisse s’en nourrir. Après tout, c’est exactement ce qu’ils font !

Nous ne sommes pas le  »dialogue social » qui se contente de limiter la casse un jour, et accumule tôt ou tard les replis sociaux qu’il combattait quelques mois plus auparavant. Nous sommes le corps social. Nous connaissons les nécessités, alors partons de leur constat pour créer notre société. Établissons un programme, comme le Conseil National de la Résistance ou la Commune de Paris en leur temps. A commencer par les 32 heures (avec ce Lundi de Pâques, une partie d’entre nous sort même d’une semaine de 28 heures ! Qui s’en plaint ?), la revalorisation des salaires, leur réindexation à l’inflation, le renflouement des services publics et exigeons la dissolution de l’organisation terroriste connue sous le nom de MEDEF ; soyons plus ambitieux qu’eux !

Et que vienne la convergence des cortèges

Je fais un point particulier sur les manifestations pour conclure, car les cortèges sont l’image incarnée de la lutte auprès de l’opinion. Ils sont la concrétisation de la société ; pas l’inverse.

Regardons les aujourd’hui, les autonomes dans le Black Block, le Service d’Ordre syndical quelques mètre derrière, séparé des étudiants, puis SUD-Solidaire, la CGT, les mojitos, le Front Social, quelques cortèges politiques ou associatifs, et les rares actifs de FO ou de la CFDT en guise de voiture balais… et chacun sa place ! Pas de mélanges. Et nous critiquons les méthodes de l’un, l’étiquette de l’autre.
Regardons les choses en face, le mouvement social n’est qu’une somme de division, de modes d’actions et d’étiquettes. Et le Front Social, désolé de le dire, en est devenu une constituante alors qu’il avait pour volonté fondatrice d’en être un liant, un émulsifiant.

Ce qui s’est passé à Nantes quelques semaines avant l’abandon du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes devrait nous donner des leçons.
Certains étaient peut-être dans cette même Bourse du Travail quand j’y ai entendu ce témoignage, lors du colloque « Tout le Monde Déteste le Travail »(2) : sur les dernières manifestations qui ont eu lieu à Nantes, on a pu voir les SO de la CGT protéger le Black-Block pendant que ce dernier taggait le mur d’une banque.
J’insiste : le Service d’Ordre d’un des principaux syndicats protégeait les autonomes des flics, tout en faisant patienter le cortège !
Quand Nantes a commencé à faire ce genre d’actions communes en manifestations, traduisant sur le terrain la convergence de société qui se déroulait sur la ZAD, le gouvernement à sifflé la fin du match. Coïncidence ? Je n’en sais rien mais j’ose croire qu’il y a un lien. Car ça vaut la peine d’imaginer que Notre Dame des Landes a été une victoire quand elle a fini de réaliser la convergence des Black-Blocks, des décroissants, des écolos, des agriculteurs, des syndicats et des pouvoirs locaux pour réaliser des actions communes pendant les manifestations.

Cette convergence doit se faire dans la société pour alimenter la mobilisation, et se concrétiser dans les cortèges pour motiver tous les salariés, afin de les amener à la grève générale. C’est dans la société que se tissent les liens qui s’illustrent sur le terrain ; pas l’inverse. Et les actions symboliques en découlent.
A nous d’aller chercher les agriculteurs et les maires de banlieues qui démissionnent. A nous d’expliquer au SO de la CGT, que le Black-Block est un mode de lutte valable, qu’il est important de le défendre, et qu’il est nécessaire de protéger les totos des infiltrations de la BAC.
Oui, nous avons nos divergences, évidemment. Mais mettons déjà en place ce qui peut nous unir, on profitera de ces occasions pour discuter de ce qui nous sépare, au lieu de nous réunir seulement dans dans les manifestations dans lesquelles l’on se regarde forcement en chiens de faïence.
Les chasubles et les Kways bras dessus bras dessous, nourris par les agriculteurs, transportés par les cheminots, soignés par les infirmières et soutenus par les caisses de luttes auxquelles souscrivent les salariés.
Voilà ce qu’est une société ! Et elle n’empêche pas le débat pendant qu’elle va vers quelque chose de commun.

Gardons à l’esprit que tant qu’ils croiront que les lobbies de la finance ont un pouvoir supérieur au corps social, tant qu’ils verront que la haute bourgeoisie est plus unie que ces contestataires pourtant plus nombreux, les salariés resteront résignés, et rien ne se passera.

A nous de rallumer l’espoir et faire passer les salariés du pessimisme de la résignation à l’optimisme de la lutte.

Construisons notre monde, et alors peut-être arriveront Les Jours Heureux.

Image de couv’ : « Alice on the Catwalk » par Banksy

(1) « Occuper Wall Street, un mouvement tombé amoureux de lui-même » par Thomas Frank  in Le Monde Diplomatique Janvier 2013
(2) Conférence à retrouver ici : https://youtu.be/uiDi251fcCU  (elle est à voir en entier pour comprendre comment comment cette émulsion s’est faite, donc je ne mets volontairement pas le timecode)


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