Antifa – Le Jeu

Publié par Niko_DdL le

Aujourd’hui c’est dimanche et comme on est en octobre il fait moche, il pleut et il fait froid. Une météo parfaite pour passer l’aprèm autour de jeux de plateaux.
Mais comme on parle de militantisme sur ce blog, voici un article à propos d’un jeu fraîchement sorti : Antifa – Le Jeu.

Le jeu comme médium militant ??

e vais commencer par la fin, en répondant directement à une critique que j’ai souvent vue à l’évocation de ce type d’initiatives : «Est-ce qu’un jeu de plateau peut-être un outil militant ?» Certains diront non, au prétexte qu’un jeu ne s’inscrit pas suffisamment ‘dans le réel’.
Pour ma part, je considère le jeu comme un médium tout à fait légitime pour expérimenter des situations plus ou moins réalistes, des mécaniques, des synergies… Je ne vais pas vous faire l’article sur l’utilité du jeu en tant que moyen d’apprentissage,voire thérapeutique. Néanmoins, ces facultés sont suffisamment documentées de nos jours pour les considérer sérieusement.
Donc, à mon humble avis, OUI un jeu peut-être un médium militant tout à fait légitime !
Sur ce, rangez votre pureté militante où bon vous semble, et revenons-en à nos Totos.

Unboxing

Sur l’aspect pratique, la boite a une forme assez standard de 25x25x5cm qui s’intègre bien dans une pile de jeux. Et en la prenant en main, on sent que le contenant est optimisé : le tout pèse 1,2kg, de quoi être considéré comme une arme par destination… mais ce serait gâché.
La boite est de très bonne facture conçue pour être robuste. Et l’on découvre les règles (24pages), une planche de tokens tout à fait classique (et tellement bien découpée que certains se sont échappés de ma planche…) 2 paquets de carte, un dé et des planches de jeu. La production est très qualitative et on ne regrette pas que La Horde ait lutté (!) pour produire un jeu robuste et très sérieux, loin des jeux « expérimentaux ».
Le tout est très optimisé et le petit pochon est même prévu pour ranger les tokens (jetons en carton)… c’est dire.

Pour causer technique (et me rouler dans mon capital culturel), il s’agit d’un jeu croisant placement d’ouvriers, gestion de ressources et rôles, le tout en mode coopératif (vous jouez ensemble CONTRE le jeu), contrebalancé par un facteur hasard qui viendra mettre le zbeul dans vos petits plans d’antifascistes à la solde de Georges Soros.

Les joueureuses incarnent les membres d’un groupe de militants, dans lequel chacun·e possède des compétences particulières. Et vous devez lutter contre des évènements aléatoires ou déterminés par le calendrier (mais on peut également « programmer » des scenarii). (je ne parle volontairement pas du système bonus/malus des circonstances, pour aller au coeur du jeu, mais elles interviennent également dans cette phase de « Perspectives » à laquelle suit la phase « Réunion » ci-dessous) C’est contre ces évènements que vous allez jouer en organisant ensemble des actions de 3 types :

– Activité
– Initiative
– Riposte

Chaque action aura évidemment un taux de risques et d’efficacité différent (ex : un blocage est plus efficace et risqué qu’une diff’ de tracts).

Aussi, chaque évènement a sa propre difficulté et sa propre récompense (en bas à droite des cartes).
Entre 3 évènements, vous devrez choisir sur le/lesquels vous organisez une action.

Déroulement (simplifié) d’un tour de jeu

Exemple: ici on participe au camping et on fait face à la menace du squat, mais pas au tractage.

Le nombre et le type des activités est libre (quitte à être incohérents, mais bon…) mais limité par vos moyens financiers et de disponibilité. Aussi, il faudra gérer le risque d’échec qui impactera votre motivation, et la grosse épée de Damoclès : le risque d’arrestation.

Dans mon exemple, on s’est engagé sur le camping et le squat, mais je ne vais garder que le squat par souci de commodité.
Une nouvelle phase de « Préparation » commence avec les 3 actions choisies : une occupation, un rassemblement et un concert.
C’est là que chacun des 12 personnages va mettre ses talents en œuvre. Dans mon exemple à 4 joueurs, Louise, la musicienne permet de faire des économies sur le concert et la sono, puisqu’elle dispose de son propre groupe et de son matos.
Quant à Pedro, il est plus rapide pour faire des recherches et plus efficace pour rédiger des articles. Etc…

Chaque perso dispose de 6 tokens servant à prendre la tête d’une action (en haut à droite des plateaux) ou de moyens (les différentes icônes). Vous pouvez également avoir des sympathisant·e·s bonus, mais qui paniquent et disparaissent à la moindre difficulté (un peu comme dans la vraie vie ^^).

Exemple, sur le concert : Louise prend la responsabilité avec une sympathisante.
Ensuite i faut mettre des moyens dans ce concert.
Cerclés en rouge, les moyens impératifs sans lesquels l’action échoue mécaniquement. Ici trouver une salle ou un lieu extérieur, et un groupe. Chaque moyen coûte du temps(T) et/ou de l’argent(€) résumés sous les icônes de moyens.

Mais chaque moyen augmente les chances de réussite de l’action (piste à gauche des planches action, indiqué par le token antifa – R).
Pedro trouve un terrain (-3T,+2R)
– Camille fournit les boissons (-1T, 0€ grâce à son talent, +1R)
– Tina prépare une prise de parole (-2T,+1R)

On continue, en jouant également sur les autres planches d’action.
Pour le concert Louise mettra logiquement ses talents à profit pour fournir le groupe (-1T,0€,+2R) et la sono (-1T,0€,+2R).
Autant que ça serve la cause !

La disponibilité de temps (T) et la trésorerie ( €) sont gérées sur des pistes différentes. (en bonne autogestion les joueureuses se répartiront la gestion des pistes).
On commence avec le nombre de jour du mois (octobre 31) et une tréso à 10€. Puis on réduit en fonction des moyens engagés.
Dans l’exemple du concert, on a dépensé 8T et 0€, rien à faire sur la tréso’ mais a disponibilité réduit de 8, ne laissant que 24 jours sur le mois d’octobre pour valider les autres actions (occupation et rassemblement).

Une fois tous les tokens répartis, (en essayant de ne pas épuiser la dispo ou la tréso avant, n’est-ce pas) on voit où l’on en est des actions par rapport aux besoins.
Ici, les actions semblent réussies, et on a pas mal de marge pour empêcher l’expulsion du squat (17R/12)
Mais…

On passe à une nouvelle phase : Le déroulement. Les évènements se réalisent, et pas forcément comme prévu (That’s life, magueul !).
Premièrement, il y aura des imprévus pour chaque action.

Ici on tire trois cartes « Imprévu » : 1 initiative et 2 ripostes…
« C’est le Buzz » et « Coup de Main du Stade » ne correspondent pas à nos actions.
En revanche la « Descente de police » s’applique sur toutes.
Et là, c’est le drame ! Car on va perdre des moyens.

Tous les kways, et les fumis que Camille nous a fourni disparaissent. Et leur réussite avec. Ça compromet sérieusement le blocage (qui passe 8R à un échec) et le rassemblement (qui passe de 5R à 4).
Et donc, la résistance face à l’expulsion du squat en pâtis gravement (total 8R pour 12).

Mais ce n’est pas tout ! Car la météo joue également des siennes, impactant toutes nos actions en extérieur. On tire donc le dé pour chaque évènement en extérieur. Or, comme nous n’avons pas investi dans une salle pour le concert TOUTES nos actions SONT en extérieur !

On est en octobre.
Premier jet pour le concert : 5, pas de répercutions.
Second jet pour le blocage : 1. Il NEIGE ! -2R (pétain d’saisons d’ses grands morts, srx !)
Dernier jet pour le rassemblement : 4, pas de changement.

Enfin, la Maison Poulardin vient se mêler de nos affaires (on peut toujours compter sur eux…).
Et c’est là où le dé à gauche des planches d’action va devenir important. Pour chaque action il faudra faire un score supérieur à ce qu’indique la piste sans quoi un·e des responsables de l’action sera arrêté·e.
Donc :
Pour notre concert, il faut faire plus de 1. On fait 2 ; c’est pas ouf…
Le rassemblement est à 2, on fait 2… La loose.
L’occupation plus de 5, on fais également 2.
J’ai un dé qui ne fait que des 2 ! REMBOURSEZ !

Enfin on fait le bilan (calmement…) :
Alors que tout semblait bien parti avec 17R/12, le blocage a été un échec. Nous avons donc échoué à empêcher l’expulsion du squat et 2 camarades sont arrêté·e·s… la sanction d’une grosse prise de risques sur le blocage et d’un manque de bol sur le rassemblement.
Cependant, bon an mal an, nous avons réussi 2 actions sur 3, ce qui nous permet de gagner un point de moral (dans le cas contraire on en perdait 2).

Cette dernière piste qui permet de gagner des sympathisant·e·s, ou de déclencher des exclusions voire des scissions !


Et nous avons également gagné 10€ grâce au concert !
Sur ce bilan, le tour/mois est fini. On encaisse les cotisations 1€/joueureuse, et on passe au mois suivant en tirant 3 nouveaux évènements à affronter.
Nota : je vous ai fait un exemple de partie un peu simplifié, mais je vous assure que je jeu cache beaucoup d’autres petites choses à découvrir ; allant de la gestion des comparutions à des bonus tout à fait bien trouvés, en passant par des clin d’œils plus ou moins bien… sentis. Mais je vous laisse le plaisir de les découvrir…

Mais alors est-ce qu’il vaut le coût ?

Pour avoir eu la chance d’en discuter avec le créateur, l’histoire de ce jeu, c’est un peu une «blague qui a mal tourné». A la base il ne pensait pas en faire quelque chose de sérieux, puis, au fur et à mesure des tests et des améliorations le projet est devenu de plus en plus concret. Plus concret mais également de plus en plus fin, et ça se ressent FRANCHEMENT. Le créateur est un amateur de jeux, qui sait de quoi il parle, et pour sa première conception, c’est une belle réussite. On n’a pas affaire a une vague surcouche posée sur un classique malgré de belles illustrations (suivez mon regard…) mais à un jeu original avec des mécaniques réellement adaptées à son sujet.
Les illustrations quant à elles sont très fun, et le matos prévu pour être robuste et durer malgré les utilisations.

J’ai testé ce jeu avec 5 camarades et le créateur, sur 2 tables.
Toustes militant·e·s aguerri·e·s, aux parcours divers, nous avons passés un très bon moment ensemble en se remémorant des situations vécues, ou en échangeant des piques et des blagues militantes plus ou moins acerbes…

Mais pour le ‘grand public’ ce jeu est également un excellent moyen de montrer ce qu’est la réalité du militantisme au quotidien, l’implication que la lutte nécessite, la diversité des modes d’action et… les risques que l’on encourt à lutter contre les fachos.

Si vous ne connaissez rien des milieux militants, vous pourrez probablement trouver des situations improbables. Cependant, TOUT est inspiré de situations réelles et on peut parfaitement se foirer bêtement sur une action par manque de coordination, aussi bien en jeu que dans la vraie vie.
Par exemple, avec mon groupe nous avions prévu un tractage mais personne ne s’est occupé d’écrire le texte. Donc l’action est tombée à l’eau. Et OUI ! Ça arrive…
D’ailleurs, le tout est tellement pensé pour les néophytes qu’il a un lexique militant à la fin du livret de règles !

Sur un plan critique, le jeu est peut-être un peu âpre au démarrage, car il peut donner l’impression d’avoir beaucoup de micro mécanismes à prendre en main pour le faire tourner.
Mais au final il suffit de répartir les différentes petites tâches, en mandatant chacun·e des joueureuses pour la trésorerie, la gestion des disponibilités, les sympathisants, le moral, la météo, les imprévus et le bon déroulement des tours.
Mais la vie militante c’est AUSSI la répartition des tâches! Et tout le matériel est fourni dans ce sens de répartition libre.

D’ailleurs, le fait que le jeu soit sous forme de petites planches et non pas d’un grand plateau permet de s’organiser comme on veut avec, sans devoir impérativement s’installer sur une table de 120×80.

Aussi, s’il pourrait être inscrit dans l’actualité (malheureusement), il n’y a pas de références appuyées (personnalités, partis, orgas), mais uniquement allusives. ON n’y trouve pas plus de Zemmour, au fait de l’actu politique à l’heure où le jeu est sorti, de que Dieudonné disparu, ou de Gilets Jaunes sur le déclins. Au lieu de ça on aura « un polémiste d’extrême-droite », « un humoriste antisémite » et un « mouvement populaire ».
Une trouvaille habile qui crée une trame tout à fait intemporelle dans laquelle c’est l’actualité qui vient résonner. Ce qui rajoute encore à la durabilité du jeu.

On voit que le créateur a passé plusieurs années (3 si je ne m’abuse) à peaufiner son idée, et ça fait TRES plaisir.
Enfin, pour les amateurs de jeux un peu plus longs et écris, des petites campagnes sont également fournies, dont une campagne d’intro. Et on peut tout à fait créer les siens.
Evidemment, un système de sauvegarde des parties est prévu (un modèle à copier dans le livret).

Pour conclure

C’est un jeu contenant beaucoup de micro-mécaniques, que je recommanderai plutôt aux joueureuses ayant une petite habitude des jeux de plateau. En somme, si vous trouvez que Kapital ! (vous savez les jeu de l’oie sauce Bourdieu des Pinçons-Charlots) est un jeu compliqué en termes de règles, passez votre chemin. Il nécessitera une petite présentation en amont, mais une fois le premier tour/mois passé, vous aurez compris le principe.

Il y a beaucoup de phases de jeu pour réaliser un tour/mois complet, si bien que l’on a tendance à oublier de s’occuper de certaines phases. Il faut donc être vigilent·e à chaque phase, et potentiellement mandater un·e joueureuse pour bien respecter chacune d’entre elles afin que le jeu soit bien équilibré.
Heureusement, parmi les nombreuses aides de jeu se trouve une petite carte aide de jeu qui récapitule tout dans le bon ordre.

On regrettera qu’il faille au moins trois joueureuses pour le faire tourner ‘normalement’. Car même s’il existe un mode 2 joueurs, ce dernier est potentiellement assez ardu (mais j’avoue ne pas l’avoir testé).

Cependant, ces petits points négatifs sont très superficiels face au travail réalisé avec ce jeu.
Il est pertinent, tant dans ses mécanismes que dans son aspect militant, ou même l’initiation qu’il propose à un milieu très mal connu et souffrant de nombreux préjugés.

C’est un VRAI jeu, de passionné tant par son médium que par son sujet, destiné à de VRAIS joueurs, qui trouvera sa place dans une bibliothèque militante aussi bien que dans une ludothèque de joueur aguerri.

Vous pouvez le trouver à 30€ en librairie (la joie des circuits de distrib’) mais si vous aimez les jeux de plateau, vous en aurez pour votre pognon.

Niko_DdL – 3 Octobre 2012

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